Un songe utopique

Ce que l’on peut dire de cet homme c’est qu’il aimait les femmes, non avec cette manière brutale, mais avec la poésie des mots, avec la douceur d’un regard de braise qui enflammait les cœurs asséchés de tant d’espoirs déçus. Le débit de paroles lyriques exprimait le concert d’une musique enchanteresse et romantique qui reste à tout jamais gravée dans le cœur des femmes. Au creux de l’oreille, il susurrait des douceurs d’été à la chaleur torride, ou bien ses baisers dans le cou apportaient une éclaircie d’une nuit de printemps parfumée d’un vent d’alizé qui fait frissonner des corps d’amoureux sur une plage déserte, où l’avenir leur appartient, et le monde s’agenouille pour mieux les servir de cet amour unique. Il n’avait pas un style préétabli de femmes à séduire, ni un tableau de chasse à respecter. Le jeu de la passion était une mise charmeuse qu’il jouait chaque soir au gré de la brise légère qui l’accompagnait, dans le show qu’il exerçait devant ces dames au cœur émotif, à la fragilité d’une caresse si peu exprimée jusqu’ici, au premier contact semblable aux herbes sauvages sur les dunes au corps svelte, qui viennent pourtant adoucir la cruauté d’un paysage balayé par le temps au contact des hommes destructeurs de cette séduisante nature.

Il n’avait pas la carrure d’un sportif de haut niveau qui passe des heures dans les salles de musculation, mais il possédait dans tout son être ce charisme qui manque cruellement aux hommes, (par lâcheté?) et un humour à toute épreuve un rien naïf pour parfaire la vérité de ses sentiments. La fragilité devenait pour lui une grande fascination, une sorte de jouissance inexplicable, inavouable, et devenir le confident de ces dames lui procurait des joies intenses qu’il ne pouvait lui-même s’expliquer.

Le souffle court et suave, le parler à mi-voix, le gestuel dans sa splendeur en un accord rythmé de mains de maître, le désarroi féminin dans sa douleur qu’il en devient presque inexpressif par cette ample écoute si généreuse à souhait, et par la suite rassurer ces êtres fragiles comme un cocotier qui fait paraître une apparente robustesse, et pourtant le tourbillon du mal-être emporte sur son passage les beautés que l’on croyait éternelles.

Les crises nerveuses, les pleurs qui viennent accompagner les gouttelettes de cette pluie froide d’une saison qui se pare d’un manteau trop longtemps gardé. Une autre saison renaît au soulagement d’un passé qui est resté emprisonné au fond de l’âme, pour pouvoir s’exprimer aux premiers bourgeons, ces derniers représentent les premiers pas qui mènent au chemin de l’allégresse, voire d’un sourire trop vite oublié.

Les silhouettes qu’il dessinait dans ses rêves lui offraient cette joie retrouvée, qu’il n’avait pas réussi à découvrir pleinement dans son enfance, malgré tout son amour pour l’être adoré que représentait sa mère. Il ne savait plus comment se débarrasser de cet état d’excitation extrême, qui encore une fois par les lois inexplicables de la raison lui donnait ce goût amer de la vie, cette nausée qui remonte en décomposant toute une structure bâtie d’une pensée juste, honnête. Comment pouvait-il se libérer de ce plaisir qu’était de rencontrer une jeune-fille, une dame, pour pouvoir enfin exister et démontrer tout son savoir-faire, alors qu’on lui avait appris à n’aimer qu’une seule femme, et à l’accepter jusqu’à sa mort? N’avait-il pas le droit d’apporter un peu de bonheur à toutes ces charmantes dames, après tant d’années d’humiliations?

Après-tout sa plume n’était-elle pas sa maîtresse qui jusqu’à ce jour était restée sa plus fidèle confidente noircissant la laideur de son âme au bas des pages, où ces dernières lui donnaient une réflexion qui se voulait émotive?

Tant de questions, et pourtant les réponses sont simples à apporter par une pensée, en écrivant pour toi ma chère, aux nuits d’amour que tu n’as pu m’offrir, à ta peau douce et cuivrée, et que dire de tes seins comparables aux mandarines, où jaillit le bouton qui éclos d’une maturité qui se veut précieuse à observer de mille feux. Les lignes de ton corps m’écrivent une douce poésie à laquelle je recherche les rimes, mon inspiration se créée lentement près de ces colonnes grecques, où une rangée de violons dirigée par la dictatoriale baguette si directive, et si émouvante joue une plaisante symphonie. Cette dernière qui sait tirer le meilleur de ses musiciens pour harmoniser cette mélodie, que l’on aurait voulu composer (égoïstement) pour qu’elle dure une éternité dans nos mémoires qui retiennent si difficilement des moments intenses de bonheur!

Ô temps perdu, temps parfois retrouvé pour mourir à cet instant dans la passion de nos errances, de nos moments désabusés, et que nos caresses emportent les vicissitudes de ce monde pathétique, et ainsi pouvoir nous pencher au chevet du malade pour lui injecter une perfusion d’amour.

Il avait cette grâce d’écrire une phrase qui se voulait contemplative pour un peu mieux la comprendre. Il retenait de cette existence que la simplicité était celle de partager un trop plein de sentiments stockés dans la réserve de son cœur silencieux…

Ecrire c’est déjà exister

Je me souviens des petites phrases qu’il adorait écrire au dos des livres quand il achevait de les lire, avec cette fièvre d’un jeune débutant qui découvre le monde si particulier de la littérature. Il avait toujours un visage illuminé comme un malade gravement atteint en pèlerinage à Lourdes, par l’ensemble des règles qui régissent un art, toutes ces métaphores qui donnent au texte un nouveau sens, ou tout simplement par l’envie de découvrir à travers des écrits majestueusement interprétés par des écrivains tourmentés d’une vie qui leur échappait. A l’image représentative d’un château de sable solidement fortifié par cet enfant bâtisseur où la mer a emporté insatiablement son œuvre. Ainsi il pouvait s’évader vers son monde, et dans ses longues ballades, il se couchait sur la mousse humide pour respirer la magie des livres qui le fascinait. Il avait un sourire caché au fond de son cœur quand il lisait. Une aura se percevait au loin, quand assit en silence, il décortiquait les mots avec un plaisir sans équivoque. Déjà son cerveau bouillonnait à l’idée d’avoir un brouillon dans la tête qui se matéralisait dans son esprit, et pouvoir de cette manière remplir la page blanche avec une certaine extase. En fait, la lecture et l’écriture étaient ses raisons de vivre au quotidien un idéal qu’il s’inventait à la façade de ses lignes qui retraçaient son amour pour les femmes, mais aussi les doutes qui le saisissaient de ne pas pouvoir leur offrir un peu plus de magie, et qu’elles rayonnent de leur beauté singulière, car il répétait souvent que chaque femme avait un charme qu’il fallait découvrir à la minute d’une rencontre fortuite.

Il fallait épouser la douceur des mots pour que les femmes retrouvent une jeunesse qu’elles n’avaient pas su se construire, ainsi leur raison d’aimer aller épanouir leur vie, jusqu’ici sans raison d’être quelque peu morne de suivre les règles sans jamais les faillir, alors que leur vraie vie était ailleurs, par exemple dans un conte aux nuits douces, libertines, où le plaisir de se donner à la nuit était le seul atout à jouer allègrement, alors pourquoi ne pas faire partie de la fête se répétait-il souvent?

Ecrire pour lui lors d’une soirée entre amis à une jeune inconnue au visage caché par une mèche capricieuse et rebelle, était le signe d’une tendre timidité, mais aussi sa manière de prouver à travers ce jeu coquin et complice de regards qui laissent présager une suite, que son amie la grandiose plume était tout simplement sa carte de visite, (du subconscient?) pour entrer dans une stratégie de séduction à hauts risques. Il aimait écrire les phrases que les femmes ont envie de relire pour ressaisir la portée, l’envolée d’une poussée énergique  à faire ressortir avec une sincérité touchante les mots du cœur , et un peu mieux construire ce désir trop longtemps enchaîné qui brûlait en elles, ce sourire qui ravage les hommes depuis toujours, ces gestes qui troublent et qui terminent par se rencontrer pour n’en faire qu’une histoire plaisante à deux, au doux mélange de tendresses, de complicités qui naissent au rut de ces arbres perdant leurs feuilles pour dévoiler leur intime pudeur.

Le passé est un enfant sans jouets

Quand il parlait de son passé, il le résumait en une dizaine de lignes. Un jour dans une pile de vieux cahiers j’avais trouvé une feuille froissée où il évoquait son passé:

– Il me reste les rides de ce temps qui court sans attendre une réflexion plus dense, disons plus construite. Les souvenirs sont le mélange d’un détail relâché par la pensée, car derrière on découvre toute la décomposition chronologique d’une essence crée par l’imagination qui se veut fertile, et pourtant les champs vallonnés montraient un pâle visage. Sûrement une finition de style littéraire trop recherchée, car à vouloir lui donner un sens l’on termine par ne plus la comprendre.

Que puis-je vous dire pour apaiser ma peine, sinon qu’il était né un vingt-deux décembre, dans un petit village de Gironde tout près des célèbres vignobles du Médoc, c’est-à-dire à Saint-Laurent, bourgade connue également par l’excellente réputation de ses cavistes qui savent apprécier la densité de la robe, et toutes les inimitables saveurs vinicoles. Il avait connu une enfance de ce que l’on attribue des plus classiques, c’était un enfant sage, studieux, très timide, réservé, au point de ne compter que quelques véritables camarades. Il ne se sentait à l’aise qu’en présence des filles, car il disait que les garçons étaient tous des faibles au fond de leur cœur meurtri, et que la meilleure compagnie était la solitude qui respectait vos décisions en silence sans vraiment vous trahir. Il y avait dans tout son être cette culpabilité d’être né, pour lui l’amour était une femme qui pouvait apporter à tout moment un sourire à un enfant alité dans un hôpital, suite à des complications lors d’une naissance prématurée. Certainement la méningite qui l’avait cloué de longs mois dans une chambre blanche, l’avait incité à découvrir dans sa douleur un monde beaucoup plus poétique que la réalité dans laquelle il ne voulait pas trop se plonger. Il vivait décalé face au temps, tout devenait sujet pour se révolter intérieurement,  alors qu’ extérieurement il était cet enfant sage, sans histoire, souvent fébrile, mais toujours fidèle à ses idées de croire en la bonté des êtres malgré leur méchanceté de plus en plus significative. Après tout qu’importe, il se disait que les hommes devaient se purifier à la fontaine bénite de leurs croyances, et suivre les voies de la sagesse. Ainsi, leur passage sur terre aurait pris un sens en se disant que la vie nous donne l’opportunité de nous comprendre, pour encore mieux nous perdre à la folie de nos désirs. ( Inassouvis?)

Il répétait souvent que les hommes étaient des guerriers pourtant si seuls, qui avançaient dans les contrées pour étancher leur soif de victoire dans leurs yeux injectés de sang. Sûrement les absences du père y étaient pour beaucoup dans sa manière de raisonner, découvrant une nouvelle facette de sa personnalité.

Les souvenirs me submergent quand il m’évoquait son enfance, et au coin de l’œil cette larme qui coule me donne le sentiment que vivre c’est comprendre le tourment des êtres.

J’ai vécu une enfance heureuse, bien que je ne fus pas souvent à la maison, c’est-à-dire constamment en vadrouille. Je n’ai pas souvenir d’avoir eu de gros chagrins. Peut-être n’ai-je pas été assez cajolé, peu de câlins le soir avant de m’endormir, ou bien cela est-il trop loin? Je suis égoïste car j’ai reçu tout l’amour de maman, mais point celui de papa! Hors du cocon familial dès l’âge de sept ans, j’ai bourlingué d’école en pensionnat, (ce qui ne m’a pas empêché d’obtenir mon baccalauréat section littéraire, malgré tous ces déboires, et sachant que les professeurs prédisaient pour moi un brillant avenir… Chez les cancres, et autres reclassés!) bien sûr, je passais les week-ends et les vacances chez moi, ce qui me permettait de courir à travers la campagne généreuse, avec les garçons de mon âge. J’habitais une bourgade avec en son centre un château fort, le tout en bordure de Garonne, cela était une aubaine comme terrain de jeu, et si extraordinaire pour des gosses comme nous, pensez! Des souterrains à explorer, des bois immenses à proximité, et aussi plein de petits ruisseaux qui se jetaient dans le fleuve. J’ose dire que c’était le paradis. Avec mes deux meilleurs amis, nous passions de longs après-midi à jouer dans les sous-sols du château. Tout était encore là comme dans mes rêves, les oubliettes, les tunnels interminables qui débouchaient dans les bois tout proche. Nous  avancions comme des mineurs au fond de la mine, avec des regards déterminés de grands aventuriers en devenir, éclairés par des bougies et des torches que nous fabriquions nous même. Nous étions inconscient du danger, car les parois suintantes d’humidité s’éboulaient parfois lors de notre passage. Nous faisions la guerre aux garçons des villages voisins, qui osaient s’aventurer sur ce que nous considérions comme notre territoire sacré. Bref, c’était ni plus ni moins que des jeux de gosses de la campagne pour qui les journées étaient trop courtes! Nous avions tant de choses à faire, trop de jeux à inventer. Nous emménagions des cachettes secrètes dans les souterrains du château, et nous stockions dans la tour dressée, comme une fusée, nos trésors. Cela allait du fusil en plastique, aux cannes à pêche, en passant par nos bandes dessinées préférées, celles qui racontaient les exploits de guerre, avec comme héros Garry Buttler Britton. Nous baignions dans une ambiance guerrière, il faut dire que nous étions en plein conflit algérien, et qu’en plus j’avais un exemple vivant, vu que mon père était militaire de carrière. Les péripéties de la seconde guerre mondiale et d’Indochine n’avaient aucun secret pour moi. Un jour, en explorant un tunnel en partie clos, nous découvrîmes une grande salle remplie de cordes et ballots de vêtements, mais nous n’avions plus de bougies et nos torches, elles aussi s’étaient consumées, de plus l’après-midi était bien entamé. Irrémédiablement, il nous fallait rentrer chez nous. Nous décidâmes de nous procurer des lampes électriques, et de revenir le jeudi suivant.

La semaine ne passait pas assez vite tellement j’étais excité à l’idée d’imaginer les trésors que nous allions découvrir. Le jour tant espéré arriva enfin, nous étions là tous les trois, et cette fois-ci bien équipés. Nous avions pris tout ce qui nous semblait nécessaire pour mener à bien notre entreprise. Nous nous enfonçâmes dans le tunnel boueux et malodorant. Par endroit, il fallait avancer à demi courbé, mais nous arrivâmes enfin à cette fameuse salle. A La lumière de nos lampes, nous trouvâmes des piles de caisses en bois et quantité de caissettes métalliques, une pile de caisses avec des ballots de vêtements se trouvaient à côté de ces dernières. Nous ouvrîmes d’abord les caissettes qui étaient remplies de cartouches, puis les caisses en bois qui contenaient elles, des fusils bien alignés. Ainsi que des mitraillettes américaines de marque Thompson. Imaginez-vous que mes rêves devenaient réalité. Nous en déménageâmes une partie dans une autre de nos cachettes. Vers la fin de la journée, nous trouvâmes d’autres caisses remplies de grenades allemandes, dont par la suite, quelques-unes refusèrent de fonctionner. Dès lors notre principal loisir était de nous retrouver dans une ancienne carrière, pour tirailler à qui mieux mieux à faire exploser les grenades. Celles qui n’explosaient pas étaient tout simplement jetées dans un puits à ciel ouvert. Nous nous en servions surtout pour pêcher le poisson-chat sur les bords vaseux de la Garonne. Mais cela faisait beaucoup de bruit!

Un après-midi, en jouant à la guerre, nous arrivâmes en sortant du bois devant un poulailler bien fourni. Les poulettes grasses qui avaient ingurgitées le nourrissant grain, devinrent pour nous de fanatiques soldats japonais, et les murs en bois du poulailler servirent à façonner un puissant blockhaus. Nous ouvrîmes un feu d’enfer, protégés par notre nouvel abri imprenable. Seulement, comme nous tirions à balles réelles, le bruit fut tel dans la campagne tranquille qu’un gars accourut au loin en gesticulant et en hurlant, ce qui nous fit prudemment battre en retraite, et ramener notre matériel lourd dans notre cachette. En résumé, nous passions nos journées à faire de grosses bêtises, et ce fut un miracle qu’il nous arriva pas d’accidents sérieux.

Nous étions tous les trois des fervents admirateurs de tout ce qui touchait au matériel militaire. Un jour, nous décidâmes de fabriquer un canon. Il fut impossible de réunir tous les composants. Par contre, il était beaucoup plus simple de fabriquer du mortier. Nous le créâmes avec un vieux tube de vérin hydraulique, et du corps d’un amortisseur usagé rempli de poudre noire, à coup sûr cela devait fonctionner. Notre premier essai s’avéra être le dernier, car la mèche s’éteignit juste à l’entrée de l’engin, et aucun de nous trois ne voulut s’approcher pour tenter de la rallumer. Nous abandonnâmes donc notre mortier dans la carrière. L’artillerie demandait de s’y connaître en très haute technologie, et c’était trop risqué de poursuivre pour notre modeste savoir. Comme le matériel ne nous manquait pas, nous partîmes un après-midi à la chasse aux rats. C’étaient d’énormes bestioles qui pullulaient sur les bords charmants de la Garonne. Ce jour-là nous nous surpassâmes à élaborer une stratégie pour prendre en défaut l’ennemi. Nous avions pris dans notre réserve deux « Thompson » et un pistolet mitrailleur rapide comme l’éclair. Nous avancions en silence dans les hautes herbes jusqu’au bord du fleuve, et comme par magie, l’ennemi fut surpris et anéanti dans une fusillade grandiose, comparable à un feu d’artifice de la Saint-Jean! Le problème fut que sur le chemin du retour, nous vîmes à l’autre bout d’un champ de maïs en friche, un fourgon bleu stoppé, et quatre gendarmes en képi qui se dirigeaient vers nous en courant. Faire demi-tour et balancer nos armes dans la Garonne ne nous pris qu’une minute, puis à vitesse grand V, en faisant un large détour pour nos malheureuses petites jambes, nous rentrâmes chacun chez nous. Je m’enfermais à double tour dans ma chambre en prétextant à ma mère que les devoirs m’attendaient, et que je devais prendre mon avenir en main!  Elle me répliqua:

– Enfin, te voilà devenu raisonnable!

Par la suite, conscients d’avoir frôlé la catastrophe, nous décidâmes par vote à l’unanimité d’arrêter les frais et de boucher l’entrée de notre dépôt à munitions. Un jeudi après-midi, après s’être chargé chacun de « quelques bricoles » à titre de souvenirs qui marquent une existence, nous fîmes s’écrouler plusieurs mètres cubes de terre sur l’entrée du souterrain, ce qui condamna l’accès de notre cachette.

Quelques années plus tard, à nouveau conscient de la valeur qui se trouvait dans la grotte, j’essayais de retrouver le passage, mais un grand nombre d’inondations successives avait changé le paysage, et je ne pus jamais retrouver l’endroit exact du tunnel. (On dit parfois que les souvenirs s’enterrent!)

Au goût du jour dans notre équipe ce n’était plus l’armée de terre, mais l’aviation. Nous voulions tous les trois être pilotes. Après la construction de maquettes plus ou moins volantes, nous passâmes à la fusée. Il faut dire que nous avions vu un film sur les V1 et V2 allemands qui nous avait fortement impressionnés. Le terrain pour faire l’essai de décollage était tout trouvé, nous avions décidé que cela se passerait dans le grand jardin des parents à Jojo. C’était l’emplacement idéal vu la force des vents. La construction fut facile, c’est-à-dire pour nous il s’agissait d’un jeu enfantin, avec un combustible propulseur, du carbure, de l’eau et hop, ou plutôt « boum! » Planqués derrière un petit mur, nous vîmes un gros morceau de l ’engin décrire une gracieuse trajectoire, et passer à travers le toit de l’atelier du menuisier qui habitait en face. Trente secondes plus tard, le père de Jojo, qui pourtant d’habitude était un joyeux plaisantin, nous chassait à coups de pieds au cul, et mettait par la même occasion fin à nos carrières de pilote. Heureusement que le terrain d’aviation le plus proche était à quarante kilomètres car je suis sûr que nous aurions réussi à piquer un avion! Nous essayâmes également le parachutisme. J’avais pris un drap de lit à ma mère. Dadou avait apporté cent mètres de ficelle pour les suspentes, et Jojo, lui, avait réalisé les plans pour la confection du parachute idéal. En une seule matinée, l’affaire était pliée, il ne restait plus que les essais. Dadou habitant près d’un petit château où il y avait une ancienne tour d’environ trente mètres de haut. Il grimpa au sommet par un escalier délabré, et une fois arrivé en haut, une certaine frousse l’envahit dans toutes les fibres de son corps paralysant tous ses membres. Donc il fallut un volontaire. Jojo qui avait établi les plans en tant que maître d’œuvre ce devait de sauter, mais rien à faire, il bafouilla ses mots qu’il était la tête pensante, et non l’exécutant! Dadou était sceptique quant à l’atterrissage, et moi je commençais sérieusement à douter de notre œuvre commune. Dadou se proposa de balancer son petit frère, mais ce dernier était parti jouer, et devant l’urgence, aller le chercher par monts et par vaux prendrait trop de temps. Le temps pour nous était trop précieux. On allait larguer une pierre pour voir si le test était concluant, et nous sauterions ensuite chacun à son tour. Ce qui fut dit, fut fait, sauf que la façon dont le parachute toucha le sol nous dissuada de tenter l’expérience. Réfléchir aux évènements présents quant à ses conséquences, étaient pour nous une forme d’intelligence à s’adapter à chaque situation!

Nous rentrions de nos expéditions sales et dépenaillés, les voisins venaient se plaindre. Trois ou quatre fois, les gendarmes vinrent à la maison pour nous poser des questions, et nos parents respectifs (surtout ma mère) s’arrachaient les cheveux. Nous étions souvent punis, avec toutes les interdictions concernant les sorties, le bal pour un premier flirt, l’argent de poche. La situation se dégradait. Ainsi, sur le plan scolaire, ça ne marchait pas trop. Alors que quelques mois auparavant, je faisais partie du trio de tête pour récolter les meilleures notes. Je continuais cependant à voir mes deux camarades, et bien sûr, en leur compagnie, les bêtises s’accumulaient, telles que les bagarres avec d’autres garçons, les courses effrénées de motos sans avoir l’obtention du permis, en fait encore et toujours le goût du risque. Une fois avec la moto, une « Java 350 bicylindres, » nous étions tous les trois dessus et on dévalait un petit chemin qui nous mena devant une cour de ferme. Devant l’impossibilité d’arrêter la surpuissante moto,  vous devinez certainement ce qui arriva. Le trio que nos formions oublia que la porte d’entrée était fermée à clef, et on atterrit dans la salle à manger près du feu de cheminée. Cela donna lieu à un scandale avec le propriétaire un paysan irascible, qui voulait nous « canarder » avec son automatique d’avant guerre à gros sel, enfin, j’en passe et des meilleures. Un jour d’hiver, nous entamâmes avec une bande adverse une bataille de boules de neige. J’eus l’idée de façonner une arme révolutionnaire et secrète, il s’agissait d’une grosse boule de neige, jusqu’ici rien d’extraordinaire, mais le meilleur arrive, en son centre j’y avais ajouté un méchant pavé. Ce dernier était tout particulièrement destiné au chef sans plumes de la bande, un gars que je considérais comme le pire ennemi sur cette terre, et à qui je devais une quantité non négligeable d’hématomes et d’estafilades sur mon corps. En résumé c’était un prétentieux, un sale con très méchant, et pour mon grand malheur, il m’était supérieur en taille et en force, ce qui n’arrangeait rien! Mon arme secrète fonctionna à merveille. Si bien que les parents de ma victime vinrent à la maison le lendemain, comme d’habitude, je m’arrangeais pour dire à ma maman  qu’il fallait que j’aille aider Dadou à faire l’exposé que nous devions présenter en fin de semaine. (Je jouais à l’enfant sérieux et responsable!) L’affaire s’arrêta plus rapidement que je ne l’avais prévu, mais moyennant une somme d’argent conséquente.

Ma mère en avait assez, et comme elle n’arrivait pas à me dresser, elle me dit:

– Je vais t’envoyer en pension, et on va se charger de faire ton éducation, car moi je n’en peux plus, stop, basta, je baisse les bras. De plus, elle rajouta, cela te sera profitable pour te forger un meilleur caractère. ( Moi, le brillant élève qui dérapait sur la pente douce, pour filer du mauvais coton!)

Une semaine plus tard, je débarquais dans un collège dirigé par des prêtres réputés être très sévères. Mon entrée se fit un dimanche soir, et le vendredi suivant j’étais déjà de retour chez moi. Ces braves prêtres avaient téléphoné à ma mère en lui disant que j’étais irrécupérable, et qu’ils ne pouvaient pas me garder. Je pense (pour établir ma défense!) que le fait de ne pas connaître les prières, ( ou certainement trop bien, disons que je n’avais pas la même intonation qu’eux, de temps à autre il m’arrivait de rajouter des vers lyriques, pour que cela soit moins tristes!) et surtout d’avoir mis le feu dans la bibliothèque avait dû leur déplaire. J’avais commencé par brûler quelques pages, puis plusieurs rangées de livres écornés, pour résister le plus longtemps possible au feu qui me fascinait dans la douleur, je pensais tout simplement qu’au beau milieu des flammes le démon allait mourir une bonne fois pour toutes! Il y avait aussi que durant trois nuits j’avais rêvé qu’on m’avait endossé de force une soutane, et tous les quarts d’heure, il fallait que je monte en haut du clocher réciter d’interminables prières!

J’avais alors treize ans, pendant les deux années qui suivirent, je me baladais d’école en école avec des résultats plus ou moins satisfaisants. Ma mère me répétait très, très souvent qu’elle ne reconnaissait plus son gentil garçon si travailleur, et que maintenant je ne voulais plus rien faire. Moi, ce que je voulais, c’était surtout vivre et je me disais que j’avais tout le temps pour redevenir cette fois-ci le premier de mon école. La seule chose que ma mère ne comprenait pas, c’est qu’au lieu de s’alarmer de la sorte, il fallait qu’elle me fasse un tout petit peu confiance ma maman chérie!

Je fréquentais toujours mes deux camarades au long cours, (pourquoi vouloir changer une équipe qui gagne?) mais c’était plus calme qu’autrefois, il nous semblait plus intéressant de voir fricoter le maire du village avec sa bonne bien en chair pendant l’absence de madame, ou encore nous préférions « draguer » les filles, que d’aller fusiller les rats, voire construire des fusées. Bien sûr, on ne se refait pas, de temps en temps, j’avais des petits problèmes, il faut dire que physiquement ce n’était pas folichon, mais j’avais encore mieux, c’est-à-dire un tempérament de feu! Cela me mettait dans des situations très embarrassantes. A cette époque, j’étais dans le même collège que mon frère. Il partait chaque matin en autobus, et moi je prenais mon vélo qui avait souvent les pneus à moitié dégonflés. Un jour, à peine arrivé, il vint me trouver dans la cour de récréation. Il m’expliqua que le chauffeur lui avait pris son transistor, et lui avait collé une baffe devant toute l’assistance, en lui interdisant d’écouter la musique dans son autobus. Sans réfléchir un instant, j’allais voir le chauffeur, d’ailleurs c’était un jeune merdeux qui voulait jouer les caïds pour un peu mieux séduire les adolescentes. Je lui demandais très poliment de bien vouloir me rendre le transistor. Le mec se mit à m’invectiver du haut de son poste de conduite, je montais alors dans l’autobus pour m’emparer du transistor de frérot qui était posé sur le tableau de bord. Il me repoussa en prenant appui sur mon épaule, mal lui en prit, il se retrouva en déséquilibre, et j’en profitais pour lui coller un marron, puis une châtaigne entre les deux yeux, et hop, va voir la lune rousse cosmonaute de mes deux! Du coup, l’ex roi des caïds qui était sonné tomba de l’autobus, et resta immobile sur le bitume, comme un taureau qui donne sa langue au chat après un âpre combat. Tout un attroupement se forma et les professeurs qui attendaient l’ouverture du lycée vinrent aux nouvelles. En tout cas, les faits furent rapportés au directeur, bien entendu amplifiés, déformés, (c’est contagieux chez les humains!) ce qui avait fait,  que j’étais passé pour un dangereux agresseur. Cette affaire ajoutée à quelques autres peccadilles fit que je ne pouvais plus fréquenter cet établissement. Donc plouf, plouf, retour à la case départ, de nouveau à la maison! L’année scolaire était à peine commencée que j’étais déjà dans le carreau. Ma mère avait de la ressource et les écoles ne manquaient pas. Je fus pris en urgence dans un lycée voisin, mais  en qualité de pensionnaire.

– Tu vas voir ce que tu vas voir, me dit ma mère, et cette fois tu ne rentreras pas le week-end!

C’était un lycée mixte, ce qui n’était pas pour me déplaire, malheureusement le dortoir des filles était rigoureusement gardé. Il était impossible, malgré nos stratégies naissantes jour après jour, de les fréquenter en dehors des récréations; Je retrouvais là quelques visages connus des gars des environs de mon domicile qui passaient pour être des « fortes têtes. » Nous eûmes vite fait de former un noyau d’inséparables. Le dortoir du bâtiment principal était complet, je logeais avec mes camarades dans une annexe située à deux kilomètres du lycée, ce qui, avec les aller- retours du matin et du soir, ne me donnaient pas l’impression d’être un réel pensionnaire pur et dur! Nous faisions le chemin à pied sous la surveillance de monsieur Jean-Marc, professeur de sport de son état. Il était marié avec madame Alice qui était la fille du directeur. Le couple vivait également à l’annexe. En fin de journée, c’était madame Alice qui nous aidait à faire les devoirs. Après le repas du soir que nous prenions avec eux, monsieur Jean-Marc nous apprenait des exercices de gymnastique, et comment apprendre à bien respirer pour avoir, disait-il, un esprit sain dans un corps sain! Pendant une heure, dans une salle aménagée, il nous faisait exécuter des mouvements rythmés, des étirements, etc.… etc.  Ensuite nous passions à la douche, puis direction le massage effectué par monsieur Jean-Marc en personne!

Mes camarades et moi étions au courant de certains aspects sexuels de la vie, et au cours des semaines qui s’écoulèrent nous fûmes vite persuadés, au travers des attitudes de monsieur Jean-Marc, que celui-ci n’en pinçait pas pour les gonzesses! Comment et pourquoi était-il marié à madame Alice qui représentait ces femmes à qui l’on aime parler droit dans les yeux en leur disant:

– Ma chérie, ta beauté chaque jour est une œuvre d’art!

Madame Alice, pour notre plus grand plaisir passait son temps à se balader en petite tenue dans la maison. Pour nous, c’était une énigme difficile à résoudre. Madame Alice venait le soir dans notre chambre vérifier si tout se passait bien pour nous, elle bordait l’un, tapotait l’oreiller de l’autre, plongeait sa main au fond du lit pour voir si son occupant n’avait pas froid aux pieds. Bref, elle nous mettait dans des états pas possible, et nous passions après son départ de grands moments à imaginer ce qui se passerait si un soir nous lui sautions dessus tous les trois. Tous les jeudis, monsieur Jean-Marc partait de bonne-heure au stade pour entraîner l’équipe locale de football, qui connue son heure de gloire en se qualifiant pour les trente-deuxième de finale de la coupe de France. Un matin, après son départ, madame Alice entra dans la chambre et demanda si l’un de nous ne pouvait pas venir l’aider à déplacer un meuble bancal. Guy se proposa et sortit à la suite de madame Alice. Il revint à peu-près une heure plus tard et nous raconta dans le détail, avec la précision de Sherlock Holmes, ce qui s’était passé. Madame Alice avait une drôle de manière de faire bouger les meubles. Après son poignant récit, nous étions tous les trois prêts à déménager jusqu’au dernier clou de la maison pour faire plaisir à madame Alice. Le jeudi suivant fut le tour de Patrick d’aller pousser un lit, le jeudi d’après elle me demanda de décoincer son volet. Il s’institua ainsi une sorte de roulement progressif, et tous les jeudis, pendant que l’autre idiot courait derrière un ballon, l’un de nous s’offrait de douces merveilles, ou bien encore des contes qu’ils restaient encore à inventer avec madame Alice.

Ce fut une année merveilleuse et inoubliable sur le plan scolaire, on pouvait constater une très nette évolution, car madame Alice était également un très bon professeur pour nous remonter… le moral. Mais elle avait surtout une dynamique pour que nous ne refusions pas les devoirs supplémentaires, ses matières favorites étaient la biologie et la physique!  Entre-temps j’avais eu des mots avec le directeur du collège, qui m’accusait de fumer en cachette pendant les récréations, ce qui était totalement inexact. Je reçus quand même une demi-douzaine de paires de claques, et de coups de pieds bien appliqués. Cette correction étant injustifiée, j’avais décidé de me venger à ma façon crue et simple. Je pensais bien,  à lui bricoler une bombe avec des grenades que j’avais conservées, mais les problèmes techniques étaient très nombreux, et surtout je ne tenais pas à faire du tort à quelqu’un d’autre, car il y aurait certainement d’énormes dégâts. Avec des copains, victimes innocentes ou pas des brutalités, nous décidâmes de lui tendre une embuscade. Notre tortionnaire faisait pendant les pauses récré le tour des bâtiments et préaux pour débusquer les fumeurs qui se cachaient, également ceux qui se permettaient quelques privautés avec les filles. Il passait obligatoirement devant un alignement de portes donnant accès aux toilettes individuelles. L’un de nous prit position dans le premier W-C, le but était d’envoyer la fumée à distance respectable pour attirer « la brute .» Le plan fonctionna à merveille et quand le « fou furieux » se saisit de la poignée en hurlant au supposé fumeur de sortir illico, ses hurlements augmentèrent d’intensité, puis il repartit comme un chien abattu de pitié, les oreilles tombantes se réfugiait dans son bureau. Il faut expliquer pour la petite histoire, que nous avions chauffé à blanc la poignée de porte avec un brûleur camping-gaz!

Hélas les bonnes choses ont toujours une fin, l’année scolaire était bientôt terminée, et les grandes vacances d’été approchaient. J’envisageais un redoublement pour profiter des cours particuliers de madame Alice, de même qu’analyser le butinage de l’abeille, mais ma mère ne voulut rien savoir, elle avait déjà tout prévu pour que ma prochaine rentrée se fasse dans une pension basque. Je profitais de mes trois mois de vacances à flâner avec mes camarades, comme un plaisir qui reste à venir quand on va tirer une dernière bouffée de cigarette trop rapidement consumée.

Le dix septembre sonna comme la peu tendue d’un tambour, je débarquais dans un nouvel univers, où je ne connaissais personne. Les professeurs étaient très stricts, et il fallait de bons résultats durant la semaine pour pouvoir rentrer chez soi le week-end . Je faillis me faire renvoyer en cours d’année, car j’avais assommé un surveillant à coups de poings, cet énergumène m’avait tapé sur les doigts avec une règle en fer, du fait que pendant l’étude du soir,  je discutais avec un camarade sur la dissertation à rendre le vendredi après-midi. Après un rituel sermon de la part du directeur, et un passage en conseil de discipline, l’affaire fut classée grâce à l’intervention de mon professeur principal qui estima que j’étais un élève sérieux et assidu, mais un peu indiscipliné. ( En voilà une personne qui savait comprendre l’affect, et aussi la psychologie des jeunes êtres.)

Comme il y a toujours un sujet qui alimente sans cesse des commentaires. Les mauvaises langues disaient que du moment où les parents payaient généreusement, les choses s’arrangeaient comme par magie! Je passais deux ans dans cette pension, où j’obtins mon baccalauréat section littéraire, pour le plus grand bonheur de ma mère, qui rêvait déjà de me voir rentrer dans les illustres écoles, moi, je me faisais de plus en plus de cheveux blancs…

l’école est un plaisir sérieux

Il avait toujours considéré les professeurs comme des personnes ayant une haute morale, une sorte de dieu sorti des légendes, et surtout ils étaient des enseignants dans tous les sens du terme ayant plusieurs cordes à leur arc, sachant être à la fois psychologues, parfois médecins pour mieux guérir les maux de l’âme, et surtout philosophes. Les philosophes l’avaient fascinés dès son plus jeune âge, en particulier le maître incontesté qu’était pour lui Aristote, par sa vision véhiculée de la théorie des idées. Pourtant, alité très jeune, il avait lu le banquet de Platon pour mieux comprendre les dialogues de la maturité, peut-être que son âge précoce ne lui permettait pas de saisir tous les aléas écrits par ce grand penseur, quoi qu’il en soit, il ne garda pas un souvenir marquant de l’élève de Socrate.

Sa mère le protégea jusqu’à l’âge de cinq ans à la maison, considérant que sa progéniture avait une grande fragilité dans toutes les fibres de

son être, et qu’il fallait telle une mère poule, le couver du regard pour qu’il prenne confiance vis-à-vis de ses camarades très moqueurs, mais aussi très vicieux dans leur jeu satanique. Il faut reconnaître que sa maman voulait l’avoir à ses côtés le plus longtemps possible, suite à la maladie à laquelle il avait survécu par miracle. Ainsi, elle voulait du mieux possible lui apporter toute l’énergie de son amour, et qu’il grandisse avec toute la force qui caractérise les jeunes garçons de son âge, sans qu’il ait cet handicap qui permet aux autres de vous montrer du doigt comme un vilain petit canard boiteux. Sa mère arrêta ses études de médecine, pour se dévouer corps et âme à l’éducation de son enfant chéri. Je n’ai jamais vu une mère aussi heureuse que le jour où il obtint son baccalauréat. Toute la fierté d’une mère, un doux regard de connivence envers son fils était quelque chose d’émouvant! Elle avait des larmes à faire déborder les océans, eh oui! Une mère se sent fier de son fils, elle est intarissable quand elle rencontre ses amies sur les moindres faits et gestes de son enfant, sur la manière dont il étudie, ainsi que sur la naissance de ses premiers émois amoureux.

La cour de récréation

Les bâtiments gris de son école primaire étaient devenus pour lui un repère, tel un pôle d’attraction, la cour de récréation plantée comme un monument communiste au milieu des arbres qui s’ornaient de leurs couleurs, pour mieux surprendre dans leur nudité. Le préau avec au fond les urinoirs qui sentaient le parfum de la propreté. L’on pouvait en toute quiétude s’assoupir quelques instants à rêver d’un monde de fleurs, où les hommes allongés contemplaient cet instant unique de leur vie, un bien-être reposant donnait envie de s’évader à tout jamais, dans ce cirque aux mimiques colorées que pouvaient représenter les cieux. On pouvait découvrir en fermant les yeux tous ces nombreux personnages jouant sur une piste aux étoiles à la couleur rouge cœur, les clowns rieurs aux pirouettes renversantes, qui nous remémorent cette enfance qui reste

accrochée au fond de nous.

Dans cette cour de récréation au sable fin, compagnon de jeu idéal pour se faire tirer le derrière, et pouvoir jouer au « circuit, » ainsi qu’aux billes et « berlons ». Déjà il s’amusait à troquer des billes en porcelaine un peu usées contre des « agates ». Il collectionnait les gros « berlons » pour pouvoir satisfaire son élan généreux à vouloir faire de beaux « carreaux »! Il se rappelait de ce professeur à la psychologie joueuse, avec une balle de tennis il atteignait trop souvent sa cible représentée par le crâne d’un élève un peu trop chahuteur. Ce professeur méditerranéen si frileux, souvent adossé au radiateur, il ne sortait jamais dans la cour. Il aurait certainement apprécié le charme que peut procurer un feu de cheminée, tant la fascination des flammes font s’écouler le temps avec cette poudre magique dans les yeux. Les conversations naissaient autour du crépitement des bûches qui annonçaient par leurs pétarades un feu d’artifice de paroles bues avec intérêt et malice, pour qu’un fragile cerveau ouvre les tiroirs de la connaissance. Cette cour de récréation avait une personnalité, car chaque élève avait au fond de lui un profond respect pour cette dernière. Il y avait dans cette vénération une haute envolée littéraire, pour tous ces élèves qui rêvaient de connaître un jour les mêmes frissons que le Grand Meaulnes!

L’appel des armes

La représentation de suivre les traces du père héroïque malgré ses nombreuses absences, et de montrer l’exemple à son petit frère, commençait à se matérialiser dans son esprit, c’est-à-dire qu’il concevait l’armée comme un nouveau père spirituel. Il voulait se prouver à lui-même qu’il avait bel et bien cette force de caractère, et devenir un homme fort comme une montagne.

Moi , je voulais entrer dans l’armée, j’en parlais à ma mère, et à force de lui rabâcher les oreilles elle dut accepter avec ce silence qui caractérise toute mère. J’avais dix-huit ans, je n’étais plus son gamin, et elle pouvait me lâcher la grappe au vu qu’elle devait s’occuper encore de mon petit frère, et surtout je ne voulais pas m’encroûter dans le cocon familial. Les études, j’avais plus ou moins réussi de ce que désirait en premier lieu ma mère, c’est-à-dire obtenir mon baccalauréat. Il faut reconnaître que j’avais envie d’horizons plus vastes. Les bandes dessinées de la vague enfance nous bercent aux douces écumes des souvenirs. Il fut donc décidé qu’à la rentrée je me présenterais à un bureau d’engagement de l’armée de terre. Les vacances passèrent agréablement comme d’habitude, puis en octobre je demandais un rendez-vous dans un centre de recrutement de la région bordelaise. Après deux entrevues et une visite médicale j’étais apte à m’enrôler dans les corps de l’armée. On m’avait expliqué qu’il devait se former une compagnie d’instruction, cette dernière composée uniquement d’engagés volontaires. Un quinze janvier, je débarquais du train en gare de Metz. Je fus pris en charge par la police militaire. Il était vingt-et une heures, je passais la nuit à roupiller sur un banc dans une pièce qui puait le tabac à en vomir, ça commençait bien! Vers six heures du matin un grand type en uniforme fit irruption dans le local, et me dit d’un air bourru:

– Allez, on y va!

Je le suivis et nous débouchâmes sur un vaste parking où stationnait un camion. Il se retourna pour à nouveau me sortir quelques mots fugaces dans la froideur du paysage qui ne purent réchauffer ma confiance blessée:

– Tu t’assoies là et tu attends!

Il disparut comme un éclair. Je grimpais à l’arrière du camion, et je prenais place sur la banquette centrale. Il faisait froid et, pour arranger le tout, il neigeait! La bâche du camion était relevée sur les côtés, et en deux minutes j’étais frigorifié. Au bout d’un moment, le soldat revient et me dit:

– Si tu as froid, vas t’asseoir dans la cabine.

Sur ces mots il repartit. Je sautais du camion et me dirigeais vers l’avant. Tu parles d’un con me dis-je, il n’y avait pas de portes, donc je retournais à nouveau m’asseoir à l’arrière. Quelques temps plus tard vers huit heures trente, le type revint accompagné d’un autre soldat, et il vociféra:

– Allez c’est parti!

Eh oui, c’est cela me disais-je, allons-y. Le bahut démarra, nous traversâmes une grande ville, tout était gris, et donnait une impression de tristesse, que même les violons d’un orchestre symphonique n’auraient pu apaiser mon cœur lourd. La neige par terre avait des allures d’une vieille femme désœuvrée et sale! J’étais transi de froid, quel bled de m….! Le trajet dura une vingtaine de minutes, soudain le bahut ralentit, il avança par à coups intempestifs, puis repartit de plus belle. Recroquevillé sur ma banquette je vis un type refermer une imposante barrière, du style passage à niveau, ensuite deux troufions armés de mitraillettes pendues en travers de leur poitrine, qui me regardaient en ricanant d’un air niais. J’eus soudain l’impression d’être prisonnier, et les larmes remontèrent du haut de mes souvenirs, en me rappelant la liberté de ma tendre enfance. Cette barrière qui s’affaissait devant moi symbolisait soudainement le passage d’un monde à un autre. Le bahut s’immobilisa devant un bâtiment, et un soldat m’invita à descendre, il m’accompagna à un bureau occupé par un gradé auquel je déclinais mon identité. Le reste de la matinée se passa à remplir des paperasses administratives et autres formalités. Vers midi on me conduisit dans un vaste réfectoire, il y régnait un brouhaha assourdissant, c’était une sorte de self-service. Moi j’étais le seul en tenue civile, et j’eus l’impression d’être une bête curieuse. Le type qui m’avait accompagné toute la matinée était sympa, nous mangeâmes côte à côte. Tout à l’heure m’expliqua-t’il nous allons finir « l’incorporo », tu vas toucher ton « paquo », et je te montrerai ta piaule. Vers cinq heures de l’après-midi, tout était terminé, j’étais officiellement deuxième classe à la 82ème section de la première compagnie du troisième bataillon. Seulement la 82ème section n’existait que sur le papier, car à ce moment-là j’étais le premier arrivé. Je fis donc la 82ème à moi tout seul pendant trois semaines, le temps que je mis au profit pour apprendre avec les gars des chambrées d’à côté toutes les finesses du lit au carré, du paquetage ( le fameux paquo) bien rangé, et surtout, détail hautement important, de me familiariser avec le langage militaire. Je passais une fin de semaine bien agréable, je me levais vers neuf-heures du matin pour me rendre aux cuisines, et prendre mon copieux petit déjeuner, ensuite je me promenais dans la caserne. Ainsi j’appris plus vite qu’il ne le faut à reconnaître les gradés. Un dimanche soir vers vingt-deux heures trente je bouquinais sur mon lit un livre à l’eau de rose, confortablement installé. J’étais situé dans la rangée de droite en rentrant bien au milieu, car le gars d’à côté m’avait expliqué:

– Il faut te mettre au milieu, sinon tu es toujours ennuyé pour allumer ou éteindre la lumière, de même que fermer ou ouvrir la porte, et de l’autre côtés il y a les fenêtres, alors crois-moi, mets-toi au milieu, insista-t-il!

J’avais donc suivi son conseil, et c’est donc de cet endroit stratégique que je vis la porte de la piaule s’ouvrir avec fracas. Un grand type costaud comme une chaîne himalayenne apparu, traînant son paquetage. Il s’avança jusqu’à un lit, jeta tout son barda dessus en maugréant, puis se tourna vers moi.

– Salut, t’es tout seul?

– Ouais, ouais, maintenant on est deux, t’es arrivé quand?

– Cet après-midi, quel bordel! Je m’appelle Jésus. Ici ça caille, heureusement que j’ai de l’antigel.

Il sortit de son sac une bouteille en plastique, en but une longue rasade, et me la tendit en s’avançant vers moi:

– Bois, et tu vas pouvoir te réchauffer!

Je gouttais son produit miracle, ouah c’était fort! Pour moi qui n’avais pas l’habitude de boire de l’alcool, mais il faut bien commencer un jour. Nous restâmes seuls pendant deux jours, je lui appris ce que je connaissais depuis peu de temps. Il était du genre sympathique, et il m’expliqua qu’il s’était engagé pour faire « chier » son père qui voulait l’inscrire dans un séminaire, bizarre, bizarre!

Un matin nous vîmes trois types qui dormaient, ils étaient arrivés dans la nuit, nous n’avions rien entendu. En tout cas pas de sous-officiers à l’horizon, aucun gradé ne s’intéressait à nous. Petit à petit la chambrée se remplissait, quand nous fûmes une quinzaine, un caporal-chef se pointa, il donna quelques conseils, fit refaire un lit, ranger une armoire, rectifia deux ou trois tenues, et nous dit que dans quelques jours la section serait complète. Le lendemain matin après le réveil cette fois-ci matinal, nous étions en train de faire nos lits et de ranger nos affaires quand un sous-officier, sans rien nous dire, s’assit sur une table, et se mit à nous regarder de la tête aux pieds, puis il fit l’inspection des lits, regarda profondément dans les armoires, toujours muet comme une carpe, et se planta au milieu de la pièce. Ce sous-officier était une armoire à glace avoisinant les deux mètres, et ce qui nous irritait c’était qu’il ne disait rien, il avait un petit rictus inquiétant qui déformait sa bouche. Il nous regardait l’un après l’autre, seul mon camarade Jésus était à peu près de sa taille, nous ne savions pas trop quelle attitude adopter. Peut-être qu’on avait engagé des mimes à l’armée française pour mieux disséquer chaque geste dangereux lors d’une attaque?

Après avoir fait le tour de quelques lits à nouveau, le sous-officier émit un petit rire sardonique, et enfin à notre grand soulagement quitta la pièce. Le caporal-chef de la veille réapparut, il nous enseigna la méthode réglementaire de faire nos lits, de ranger nos armoires, (décidément une grosse manie chez lui!) ensuite il prit un gars au hasard pour nous réunir autour, et développa sa science quant à la manière de s’habiller correctement selon la méthode militaire. L’effectif de la section grossissait peu à peu. Un après-midi arrivèrent une dizaine d’Antillais. Désormais les trente lits étaient occupés, apparemment la 82ème section était complète. Le jour suivant à cinq heures du matin pétante, la lumière nous éblouissait, le grand sous-officier pénétrait dans la piaule avec d’autres gradés à sa suite. Tout en renversant les deux  premiers lits de la rangée, il se mit à hurler ( il me rappelait le petit oiseau qui me réveillait chaque matin il y a quelques années, mais ce sous-officier n’avait pas le même air mélodieux!)

– Debout feignasses, les vacances sont terminées!

Le rassemblement et tout le toutim dans les dix minutes qui suivirent devant le bâtiment en tenue de combat. Une fois toute la section réunie, il nous tint un petit discours à peu près en ces termes:

– Je suis le sergent-chef B, c’est moi qui suis chargé de votre formation, je suis aidé en cela par mes adjoints. ( Il nous montra trois autres sous-officiers qui se tenaient en retrait). Puis il nous dévisagea de travers, et se mit à hurler:

– Dès cet instant précis, vous n’êtes que des numéros de matricule. Je vais essayer du tas de merde gluant que vous êtes, de faire des soldats disciplinés et efficaces. La partie est loin d’être gagnée, je sais que cela va être difficile, rien qu’à voir vos tronches d’abrutis j’ai envie de dégueuler, mais Dieu est juste et bon, et il m’épaulera à faire des idiots que vous êtes, d’excellents soldats fiers de leur uniforme et de leur section.

Il se tourna vers ses adjoints et hurla avec une voix de baryton.

– Je vous les laisse!

Ce que l’on attribue comme les classes venaient de débuter en grande fanfare! Les six mois qui suivirent ne furent que du sport intensif, instructions militaires, maniements d’armes, sports de défense et de combat. Nous n’avions que les week-ends comme quartier libre, et tout juste quand la section toute entière n’avait pas de gardes ou des corvées collectives. Il faut admettre que c’était pénible, mais nous avions tous une forme physique extraordinaire. Nos instructeurs étaient durs à la tâche, mais ils ne nous demandaient jamais rien qu’ils ne puissent faire eux- même. Ne serait-ce qu’à travers ce geste, ils remontaient un peu dans notre estime, car on les considérait comme des sadiques en puissance! Il faut se dire qu’à l’époque le coup de crosse dans le ventre, ainsi que certaines brimades physiques n’étaient pas encore prohibés, et les récalcitrants, les traine-culs était vite remis dans le droit chemin. Les sous-officiers avaient des jeux aussi idiots ( à notre goût) que variés, il y avait l’un d’entre eux, qui nous faisait mettre deux fois par semaine dans le couloir en position « appui facial tendu », plus communément appelée « pompes à la va-vite », à mesure que l’on pompait, il fallait hurler tous en cadence:

– Je suis trop con pour baiser Brigitte Bardot. Ou alors:

– Je me suis engagé, c’est pour en chier.

Des fois, il fallait mesurer la longueur du couloir avec une allumette, évidemment arrivé vers les mille de brûlées on perdait la mesure, ce qui nous valait l’aimable autorisation de nettoyer les toilettes avec une brosse à dents. Parfois en pleine nuit, un sous-officier entrait dans la piaule pour crier:

– Rassemblement dans la cour en tenue de combat, n’oubliez pas que vous avez un temps imparti de trois minutes pour être opérationnels.

Une fois alignés, encore à moitié endormis sur la place d’armes, nous étions inspectés sous toutes les coutures. Malheur au pauvre mec qui n’avait pas une tenue réglementaire, il était pourchassé dans la cour en tenant son « flingue » à bout de bras, ce qui finissait totalement par le réveiller de sa torpeur initiale. Le parcours du combattant n’était pas mal non plus, celui qui avait bien assimilé les techniques de franchissement ne s’en sortait pas trop marqué, mais les autres, ceux qui ce jour-là étaient plus faiblards, eh bien, ils étaient bons pour des corvées supplémentaires. Le présentez-arme n’était pas très difficile, mais quand vous restez dans la même position pendant deux heures, cela devient une vraie torture c’est-ce qui arrivait à celui qui ne donnait pas entière satisfaction pendant les séances de maniement d’armes. Des exemples de ce style il y en avait des tonnes, tous plus ou moins navrants. Ce qu’il fallait retenir comme morale c’est que tout dépendait si c’était vous qui donniez les ordres, ou vous qui les exécutiez! Chaque section (il y en avait quatre par compagnie) avait ses instructeurs attitrés. Ces idiots faisaient entre eux une sorte de compétition pour avoir la meilleure du bataillon, c’est dire que l’on cravachait dur à longueur de journée. Au bout de quinze mois l’instruction tirait à sa fin, et l’on devait passer un test d’aptitude pour être nommé caporal, ensuite être muté dans la compagnie de combat. Un peu avant la fin nous apprîmes que notre caserne déménageait entièrement pour aller s’installer dans un camp américain dans le centre de la France. Je me disais intérieurement tant mieux, car la ville de Metz du moins le peu que j’avais vu ne me plaisait guère, et ses environs non plus. Peut-être avais-je raté un superbe jardin public, où les amoureux s’enlaçaient, protégés par des statues d’anges rieurs souillée par la fiente des pigeons aux regards expressifs et émotifs? Rajouter à cela que le climat ne correspondait pas à mon corps qui réclamait le soleil du sud. Le camp où nous devions aller était parait-il plus moderne que notre caserne délabrée, qui avait deux siècles d’existence. Déménager une caserne entière n’est pas une mince affaire, surtout quand il faut aller vite. Pour accélérer, il fut décidé en haut lieu que dans les sections d’instruction tout le monde était apte à accéder au grade de caporal, ainsi il y aurait une main- d’œuvre  motivée et généreuse pour emballer la boutique. Tout le matériel fut mis en caisse et chargé sur un train militaire, tables chaises, lits, armoires, matériel d’instruction etc. Des centaines de soldats qui se relèvent les manches, c’est le cas de le dire, ça déménage! Seulement au bout de trois jours il fallut aller dormir à la caserne d’artillerie voisine, parce que les réfectoires et les cuisines étaient vides. Les lits étaient dans des wagons de chemin de fer, ce fut au tour du matériel roulant de quitter les lieux, camions de transports, de dépannages, Jeeps, remorques, blindés sur roues, tout cela partit. Nous chargeâmes encore sur le train tous les véhicules qui ne pouvaient pas faire la route, ensuite ce fut au tour des chars, comme il n’y avait pas de remorques porte-chars, il fut décidé d’aller à  la gare par la route. On vit passer un char qui en remorquait un autre en panne, également un camion tracter une unité volante de dépannage, (le comble!) ou bien encore une dizaine de militaires qui poussaient des Jeeps aux moteurs quelques peu encrassés. On les voyait passer dans un sens puis un autre, parce qu’à un endroit les routes s’entrecroisaient, et les chars ne pouvaient pas manœuvrer sans qu’ils ne défoncent tout sur leur passage. Ce fut une belle pagaille qui dura plusieurs jours. Enfin arriva notre tour, on nous affecta un vieux wagon de troisième classe qui datait de 1914. Le convoi s’ébranla à une vitesse désespérante, les trains civils avaient la priorité de passage, on passait une bonne partie de notre temps sur des voies de garage, avec les arrêts pipi, distributions de rations. De temps en temps on retendait les amarres des véhicules, car avec les arrêts et les démarrages brusques, ils donnaient la fâcheuse impression de se séparer des wagons plateformes sur lesquels ils étaient sensés être fixés solidement. Le voyage dura deux jours, le pied! Nous arrivâmes enfin à L., où il fallut décharger le matériel, là encore deux jours de franche rigolade, puis nous prîmes enfin nos quartiers définitifs. Le camp était immense (à l’image des américains qui voient tout en grand, le gigantisme de leur esprit!) il était composé de volumineux bâtiments très modernes. Ce qui me plaisait c’était qu’il y avait de larges allées. Les chambres à deux lits superposés étaient agréables, cela allait être la vie de château. Après une semaine de cafouillage, la vie militaire pure et dure reprit son cours. L’entraînement et l’instruction recommencèrent, et comme nous étions tous caporaux, nous attendions avec impatience de connaître notre future affectation. ( je rêvais du sud de la France pour pouvoir jouer aux boules, et entendre le bruit apaisant des cigales, comme lors de mon adolescence où j’aimais me balader de longues heures dans cette forêt girondine à écouter le moindre murmure d’un battement d’aile). Notre affectation fut désignée par tirage au sort, sachant que j’avais toujours eu beaucoup de chance dans ma vie, moi qui me plaignait du climat messin, je fus envoyé en… Allemagne!

Je pris le train civil cette fois-ci, en tant que voyageur en tenue avec un gros paquetage, un sac à dos et une valise, c’était très agréable surtout quand il fallait changer de gare, et qui plus est franchir une frontière! On avait l’impression que les employés des chemins de fer allemands nous en voulaient d’avoir toujours au final gagné les guerres. Nous ne comprenons rien à ce qu’ils nous disaient. Nous étions quatre à avoir eu la même mutation, il est vrai qu’il valait mieux s’ennuyer à plusieurs que tout seul. ( on se console comme on peut!) Nous arrivâmes dans une gare, où nous fûmes pris en charge par la police militaire. Il neigeait aussi  ici, mais de faibles flocons, un bahut débâché nous attendait sur le parking en contre-bas. Le chauffeur nous prévint de bien nous serrer les uns contre les autres pour ne pas avoir trop froid, car il faut savoir que la caserne où nous nous rendions était distante d’une trentaine de kilomètres. Le type conduisait comme un malade, mais il avait l’habitude de son bahut. Au bout d’à peu près trois quart d’heure, nous franchîmes en trombe un portail ouvert aux quatre vents. Après un magnifique dérapage le bahut stoppa devant l’entrée d’un bâtiment en forme de cube. Le chauffeur nous cria:

– C’est bon les gars, vous êtes arrivés.

Il faisait un froid qui ne peut se vivre que sur le moment, putain, vite un café, où est le foyer? Il fallut avant de s’installer à nouveau se sacrifier au rituel administratif, les présentations, la visite des lieux et les affectations diverses. Nous nous aperçûmes rapidement que c’était la vie de famille, chacun vaquait à ses occupations. Les appelés du contingent s’occupaient des services, et nous les engagés nous passions notre temps à nous promener dans la campagne environnante, ou à faire du tout terrain sur la piste à chars d’une caserne de génie qui était voisine à la nôtre. J’eus ainsi l’occasion de piloter tout ce qui était en service à l’époque dans l’armée française. Nous avions en stock dans d’immenses hangars, une quantité de véhicules de toute sorte, ( chut, secret militaire, je ne peux pas en dire plus). Nous devions les faire tourner à tour de rôle, pour soi-disant les entretenir c’était du matériel censé être distribué à diverses unités en cas de mobilisation. Nous avions comme chef de compagnie, un jeune capitaine assez brave, tout frais émoulu des illustres écoles militaires. Il donnait des ordres en ayant l’air de s’excuser de nous déranger. Il était complètement sous l’emprise du « gros » qui lui en fait commandait réellement. J’appris par des anciens comment la situation en était parvenue à ce point. Dès son arrivée le jeune capitaine avait essayé de s’imposer ne serait- ce que par son grade, mais c’était sans compter avec le « gros » surnommé « brin d’amour » , caporal chef de carrière qui faisait fonction d’adjudant de compagnie. Il devait peser une bonne centaine de kilos bien tassée, rondelet comme une barrique, court sur pattes, et suintant la graisse par tous les pores de sa peau!

Le « gros » connaissait la musique et ses notes hautes. Il mit à profit l’inexpérience du jeune capitaine pour assurer la direction de la boutique. Le « porc » était au courant du moindre mouvement depuis des années. Il adorait ennuyer le peuple avec ses sales manies. Le jeune capitaine avait essayé de le remettre au pas à plusieurs reprises, et l’avait convoqué dans son bureau, pas impressionné du tout, le « gros » s’était pointé un matin en grande tenue, avec sur la poitrine toute une batterie de décorations obtenues en Indochine et en Algérie, époque depuis laquelle d’ailleurs, il n’avait pas dépassé le grade de caporal-chef. Bien-sûr le jeune capitaine avait été complétement écrasé. Ainsi dès ce jour-là, il n’allait plus pisser sans avoir eu au préalable l’autorisation du « gros » . Le jeune capitaine ne venait pratiquement plus à La compagnie, et c’était le « gros » qui s’occupait de gérer tout son petit monde. Il était au courant de la moindre rumeur, rien ne lui échappait, même les officiers qui commandaient les autres sections ne l’ennuyaient pas. Pour faire un peu plus dans la poésie « brin d’amour » était ami avec un adjudant, un vrai cette fois-ci. Il avait le sobriquet de « Stainless lame fine » , car il avait un visage effilé et sec comparable à une lame de couteau. «  Stainless » était le responsable de l’armement, les bruits couraient comme quoi il aurait été aux services des S.S., et qu’ensuite il aurait choisi la légion étrangère à la fin de la seconde guerre mondiale, il avait échoué dans ce camp en attendant paisiblement sa retraite. Souvent « brin d’amour »  invitait « Stainless lame fine » ainsi que d’autres sous-officiers dans son appartement de fonction, pour lever le coude à la cul-sec. Ils se prenaient des cuites mémorables, on les entendait rire et chanter des chansons paillardes toute une partie de la nuit, mais au petit matin comme par enchantement, ils étaient remis sur selle, et paraissaient frais comme des gardons! Parfois ça dégénérait. Une fois vers quatre heures du matin, toute cette clique d’abrutis avaient pris des motos dans les hangars, et ils firent la course autour de la place d’armes dans un vacarme assourdissant, digne d’un grand prix automobile de formule 1.

Le matin à dix-heures, il y avait le casse-croûte, nous passions la matinée à nous tourner les pouces dans les hangars, voire dans les bureaux avoisinants, mais il fallait chercher des sandwichs au foyer distant de huit cents mètres. Comme l’oisiveté dit-on engendre la paresse, le gars qui était désigné pour s’occuper des ravitaillements n’y allait jamais à pied. Les hangars étaient pleins  comme un œuf de véhicules, ça allait de la Jeep au camion de transport, en passant par le chasse-neige, ou bien encore le char de dépannage. Bien évidemment les problèmes arrivèrent plus vite que prévu, au vu que c’était l’hiver, et tout était recouvert de neige verglacée. Un matin, le comique patenté de la compagnie, première classe de son état, décida que pour aller chercher à manger, il ne pouvait pas patauger dans la gadoue verglacée, donc il allait agir en conséquence. Nous le vîmes donc quitter le hangar aux commandes d’un char école, il faut reconnaître à juste titre que pour conduire sous la neige il n’y avait pas mieux qu’un engin chenillé, seulement les freins laissaient à désirer. Au bout de l’allée qui menait au foyer il y avait un carrefour, et à côté se dressait un énorme trou qui servait de dépôt pour les poubelles. Quand le Fangio chenillé arriva à l’intersection, il ne put freiner à temps pour éviter la 2 CV qui arrivait à sa gauche. La petite voiture gauloise fit trois tours sur elle-même, et termina sa course dans les ordures! Le chauffard écopa de huit jours d’arrêt, ce qui n’était pas cher payé. Le « gros » piqua une grosse colère, et nous fit déblayer la neige à la pelle pendant trois jours de suite. Il faisait très froid, le sadique qu’il était commençait à se faire sentir! Il prenait un vilain malin plaisir à nous aligner en short et baskets pour faire l’appel de chaque compagnie sur la place d’armes. Une heure après, c’est-à-dire à sept- heures du matin, on redescendait en tenue de combat pour l’inspection, ainsi que la répartitions des tâches pendant la journée. Il faisait encore nuit, et le « gros » vérifia les rangers avec sa manie coutumière pour constater qu’elles étaient cirées comme il l’entendait,  à l’aide de sa torche électrique. Il passait entre les gars alignés avec un vélo réglementaire de l’armée, ensuite, après l’avoir appuyé contre le mât des couleurs, il vérifiait l’alignement avec un télémètre d’artillerie, cela se répétait invariablement tous les jours de la semaine, sauf le samedi et dimanche. Un lundi matin, le « gros » ne trouva pas sa bicyclette. Il fut obligé de faire l’inspection à pied avec son rictus des mauvais jours. Et puis, à la fin, il fit apporter le télémètre par le caporal de service. Allez savoir pourquoi, il se mit à viser longuement la première rangée, à savoir la nôtre, en nous obligeant à faire des pompes pendant une heure, pour un hypothétique mauvais alignement. Mais qu’importe la journée se termina par une franche partie de rigolade, car la bicyclette ne fut jamais retrouvée, sûrement les mystères enfouis de la nature ont aussi leurs secrets millénaires. En fait, l’armée était chaque jour un « one man show » haut en couleurs…

Néanmoins dans cette solitude, où le côté macho était le maître mot, il comprit l’importance et la place que prenaient les femmes dans son cœur blessé par les violences verbales de ces êtres hors du commun. Il se rappelait parfois ce que disait un de ses compagnons de chambrée:

– L’armée est cette femme qui se voile la face pour paraître sous une tenue indécente, et ainsi un peu mieux troubler notre âme perdue.

La pureté du voile amoureux

Je me souviens comme si c’était hier, de cette envie qu’il avait d’être en compagnie de la gent-féminine. Ainsi était-il avec ce côté surprenant qui vous plongeait dans une grande perplexité, et vous faisait sourire du fait qu’il avait cet humour, pour un peu mieux vous désemparer par sa manière d’agir, grâce aussi à son naturel éloquent.

Il lui arrivait  (très rarement) de raconter ses premières rencontres amoureuses à ses meilleurs amis.

Pour ses dix-sept ans, accompagné  de son cousin sur les bords de la presque’île du Cap-Ferret, ils passaient tous les deux une partie de leurs vacances dans cette ville. Sur la jetée, ils avaient fait la connaissance de deux sœurs très ravissantes, à la blondeur insolente et charmeuse. Ils passaient leur après-midi sur la plage en compagnie des deux superbes créatures, et un soir ils s’étaient donnés rendez-vous  chez les parents de ces dernières. Les deux sœurs avaient expliqué que pour atterrir dans leur chambre, il fallait traverser la haie, et cela ne serait pas bien difficile, car elles laisseraient la fenêtre entrouverte . La fanfare des palpitations commença dès le franchissement de la haie. Ce fut un véritable jeu d’enfant que de se carapater jusqu’à l’immense demeure éclairée par des têtes de lion. Ils découvrirent  comme la vitesse de l’éclair la fenêtre entrouverte, mais ô surprise… Allez comprendre pourquoi, ils s’étaient retrouvés nez à nez dans la chambre des parents, qui, ce soir-là étaient plongés dans une lecture passionnante. Vite, vite ils partirent les jambes à leur cou comme des voleurs pour enfourcher leur mobylette, et tourner la poignée des commandes plein gaz avec le cul-serré, était-ce une erreur de cible? Quel dommage, car ils adoraient les deux sœurs au cœur d’ange!

Pour ses dix-huit ans, pendant sa permission que lui avait accordée l’armée, et avec son permis de conduire fraîchement en poche, il investit dans une voiture de sport. Pour draguer les filles sur la jetée c’était plus facile. Une nuit il décida de sortir en discothèque, et sympathisa avec Clémence, une jeune étudiante parisienne qui se consacrait à des études d’histoire. Un amour se noua solidement cet été là, où dès le troisième soir Clémence telle une excellente experte descendit avec élégance et discrétion la braguette, pour y glisser sa main sur le slip, et continuer ce jeu érotique avec sa bouche très sensuelle qui rencontra un membre chaud et violet. Ce dernier déversa une potion magique entre ses fines et longues jambes. Dans cet acte d’amour Clémence caressa longuement les cheveux de son amant, comme une mère l’aurait fait pour son enfant à la sortie de l’école. Elle ferma les yeux, et poussa des petits gémissements de plaisirs gutturaux, comparable à  un écureuil qui s’extasie devant une pomme de pin. Le jeune puceau qu’il était, découvrit ce soir-là, la fantaisie de l’amour avec des jeux à la grecque, etc.  etc. La cadence de ses reins s’enchainaient avec délice devant tant de désirs. Ils s’étaient promis à la fin de l’été un amour pour toujours. ( Et non un amour pour toute une vie) . Au fil des mois les lettres commencèrent à s’espacer, et il devint cet aveugle qui ne voit  les yeux de sa bien-aimée qu’en imagination, c’est-à-dire avec une pensée évasive et fugace! Sans s’en apercevoir, il était devenu un homme, et un homme devant dans le temps devient un être égoïste!

Il continua ses passions amoureuses aux sentiments volages, aux caresses rapides dans une voiture, aux actes pratiqués entre un frein à main et un volant grossier. Ainsi qu’à découvrir des folles parties de jambes en l’air dans un ascenseur, pour l‘amour du risque, et aussi de la provocation, à partager ses conquêtes avec son ami Didier,  de cette manière ils découvraient l’amour à trois! Mais aussi à s’enthousiamer avec des filles qui adoraient la nature, et qui s’offraient au beau milieu des bois enchanteurs, pour être bercées aux sons des oiseaux, au vent mélodieux qui embrasse les fougères dans un froissement doux et méthodique, où la forêt sourit tendrement à ce murmure émouvant.

Pour ses dix-neuf ans, il eut sa petite folie espagnole avec Maria, c’était une ravissante jeune fille de vingt-deux ans très agréable à vivre, elle avait un séduisant visage, des longs cheveux  noirs et lisses, et des airs similaires à ceux d’une petit squaw. Son père était le chauffeur attitré du général Franco. Donc en résumé, il écuma les plages de Benidorm avec comme unique obsession de faire l’amour sur la plage. Mais la pudeur de Maria ne lui permit pas d’assouvir ses fantasmes. Il réussit à lui faire enlever le haut dans cette Espagne si puritaine. Un jour à Murcie, tout en se promenant dans les romantiques jardins Del Corral aux arbres exotiques, elle accepta enfin de prendre un bain de minuit. Le soir arriva avec la complicité du croissant de lune, et ils commencèrent à se dévêtir, quand tout à coup au loin ils aperçurent la « garde civile ». Au plus vite, ils s’emparèrent de leurs habits, et se cachèrent sous une barque retournée. Les policiers de la « garde civile » fumèrent une longue cigarette en parlant de leur vie, et de son lot de surprises. En retenant leur respiration, ils restèrent serrés comme des sardines dans une boîte, sous une chaleur accablante. Quand les policiers de « la garde civile » partirent pour leur plus grand soulagement, ils ne pensaient plus du tout à leur bain, et autres facéties, mais ils étaient quand même heureux de s’être sortis de cette situation extrêmement gênante. Maria qui était déjà réticente, le fut encore plus après cette aventure, elle avait du mal à comprendre ce fougueux français un peu fou, qui ne rêvait que d’extravagances, de libertinages mais Maria ne lui en voulait pas, car ne serait-ce qu’observer son visage à lui tout seul, il représentait la gentillesse avec une face si craquante qu’on ne pouvait que l’adorer!

Il m’avait raconté son escapade amoureuse quand il avait vingt-ans. Durant plusieurs mois, tous les week-ends sur la côte biarrote avec une dame aux titres aristocratiques, il connut une passion sans égale. Ils s’étaient rencontrés dans le train Strasbourg-Bordeaux, et de fil en aiguille dans leur riche conversation animée, ils s’étaient trouvés énormément de points communs. Il réussit à se procurer des permissions militaires en mettant les bouchées doubles, pour vivre un véritable conte de fée avec cette dame la quarantaine bien sonnée. Un âge à la sagesse prononcée comme il aimait, pour se plonger à corps perdu dans l’histoire romanesque de cette dame, et vivre un amour romantique. Il rentrait par la grande porte, celle qui donne droit à vivre une romance passionnelle. Il pouvait se livrer en toute quiétude sur ce corps expérimenté, qui pourtant n’avait connu que de trop rares caresses. Ce n’était plus pour lui cet amour physique qu’il avait ressenti par exemple avec madame Alice, la femme de monsieur Jean-Marc le professeur de gymnastique, non, c’était une toute autre chose, comme cueillir ce fruit juteux du bord des lèvres. Il percevait un bien- être à travers la nudité de son âme, qu’il confiait  à cette dame. Ce laisser-aller, ce flot ininterrompu de tendresse qui recommençait inlassablement, comme les vagues qui venaient se rompre au bas de l’hôtel, où leur passion commençaient à naître. Ainsi il se donna à cette dame qui avait un si joli minois, une poitrine comparable à une émotive « miss Amérique » , un corps bronzé toujours prêt à se livrer , et à s ’envoler vers des îles où l’on adorerait flâner toute une vie! Ses jambes étaient cette chaleur que l’on aime ressentir les pieds en éventail sous un soleil de plomb, et que des fidèles ventilateurs nous fassent vivre des moments uniques au  doux vent frais. Cette dame fut trop vite mariée à un vicomte qui lui avait fait quatre enfants, pour rapidement s’occuper du patrimoine, et la rénovation de ses châteaux. Elle ne s’était pas encore débarrassée de sa carapace fêtarde, que déjà elle se retrouvait avec un ventre grossi! Il faut reconnaître que pour l’éducation de ses enfants, les nourrices et autres servantes se relayaient à longueur de journées. Cette dame qui avait le don d’émouvoir, d’intellectualiser ses conversations tardives dans la nuit fraîche au bord du phare, porteur de tant d’espoirs pour ces marins luttant avec la houle montante. Sa bouche rieuse, provocante donnait envie de l’embrasser avec délicatesse, et de découvrir sa langue soyeuse. Cette dame, amoureuse d’une littérature contemplative, elle savait si majestueusement lire du Rimbaud, du Racine, du Stendhal avec cette poésie lyrique, qui vous enivrait jusqu’à la dernière fibre de votre être.

Imaginez-vous comment, le cœur serré, il rentrait de plein fouet dans son monde littéraire. Cela devenait troublant par l’expression magique de cette dame, qui, week-end après week-end lui lisait une part de volupté, de sensualité, d’amour unique sans limite à la passion qui se matérialisait au bas des lignes écrites avec fougue par ces auteurs. Un état jouissif, une extase rythmée par les syntaxes, où il pouvait s’offrir à cette dame, avec toute l’impétuosité  d’un jeune homme qui découvrait enfin son île trop longtemps abandonnée! Il pouvait devenir le parfait Robinson pour ouvrir la pureté de son cœur,  et, se livrer sans retenue sur ses lignes douces, pour ainsi retrouver son côté sauvage à libérer ses instincts, et se perdre dans une inoubliable nuit d’amour. Le souffle profond comme l’océan ravageur, la tendresse dans cette expression qu’elle avait à rendre les choses simples, son franc-parler lui faisait ressentir cette tristesse qu’il avait trop longtemps gardé aux tourments de ses pensées mal construites. Elle avait su si bien donner un sens à sa vie jusqu’ici morne et désabusée, qu’il la considérait comme sa petite fleur de printemps. J’ose dire qu’il avait souffert de cette rupture avec cette dame intègre, où cette dernière représentait pour lui un peu plus que la vie, il ne voulait pas inexplicablement retomber dans ce monde d’adultes et leur sale hypocrisie! Avec cette dame il avait durant tout ce temps pu s’évader dans ces pays qu’ils restent encore à explorer, suite à l’intensité de sa narration qui était si précieuse, miraculeuse, bienfaitrice! Il avait retrové aux côtés de cette dame la compréhension d’une vie adulte, et il ne se considérait plus comme cet enfant perdu, montré du doigt, puni au fond d’une école sans histoire, d’un tableau noirci par une écriture malhabile. Il était devenu par sa nouvelle confiance, ce personnage qu’il s’inventait au fil des récits, c’est-à-dire qu’avec cette dame il avait tout simplement réussi à renaître de ses cendres, pour devenir cet homme juste qui sommeillait trop longtemps en lui…

Aujourd’hui tu n’es plus là, tu as préféré rejoindre les héros de tes bandes déssinées. Tu es devenu cet auteur qui recevait le prix Goncourt, par la magie de tes écritures qui faisaient rêver des milliers de lecteurs. Tu as choisi de te balader quelque part dans cette forêt girondine, où tu aimais tant observer les secrets de la nature. Tu as conquis le cœur des femmes avec ta poésie, près d’un pont où le romantisme naissait comme au premier jour, d’une relation magique. Tu es parti au fin fond des bois pour renaître à la sève de ce chêne légendaire, et, mieux épouser les paysages changeants aux couleurs si expressives. Tu as pleuré à chaudes larmes avec la lune pour tenter d’émouvoir l’univers. Tu es devenu le franc-tireur avec tes soldats de plomb dans une guerre, où tes mots d’amour ont fait taire la poudre, et le bruit assourdissant du canon. Tu as crié de tendres sentiments à l’immensité du large pour qu’au retour des vagues, les écumes écrivent tes paroles sur le sable frissonnant, à la caresse coquine de ta plume libertine. Tu as senti les premiers frissons de ta vie en souriant aux regards d’une mère aimante, attentive, qui jubilait à l’idée de t’offrir un avenir prometteur.

Quand je caresse mon ventre arrondi, et que les petits à- coups de… ton fils, me disent de lui procurer un stylo et un cahier pour accoucher des écritures émouvantes, mon cœur palpite comme jamais, pour qur nous puissions fermer les yeux, et crier au monde entier:

Mon chéri, on t’aime…

Laisser un commentaire