Elle marchait le long de l’autoroute, acte suicidaire? Elle m’a tendu le pouce de manière dégingandée, allez savoir pourquoi, est-ce geste de dépit qui a fait que je ne réfléchisse pas pour m’arrêter sur le bas côté?
La pluie fine avait mouillé son manteau qu’elle a soigneusement plié sur la banquette arrière. Pour entamer un brin de conversation au vu de mon âme solitaire aux attitudes de vieux garçon, je lui ai offert machinalement un bonbon à la menthe, car je suis de cette génération où les parents offraient le repas aux étrangers, voire un verre de vin et de l’eau fraîche.
– Je peux vous offrir une saveur, pour vous adoucir la gorge?
Claquement de sa langue humide. Elle a pris le bonbon délicatement avec des gestes lents, la manière dégingandée qu’elle avait sur le bord de l’autoroute avait par magie totalement disparue, et a fourré le papier sur le rebord du cendrier.
– Quel fichu temps! Que peut bien faire une ravissante fille comme vous à marcher sous la pluie? ( je suis incapable de donner un âge, mais j’ai établi une fourchette allant de dix -huit à vingt-cinq ans.)
– Je lui ai claqué la portière au nez à ce gros naze, il me rend l’existence misérable avec ses allusions, et ses jalousies à la con!
– Hum, apparemment pas très commode votre homme.
– Oh pourtant il peut se montrer si charmant, pour l’exprimer simplement, il peut-être un petit chaton qui ronronne d’amour quand il s’en donne la peine, mais parfois il devient ce méchant matou qui montre ses griffes à en devenir une sorte de monstre à la furie incontrôlable!
– Alors si je peux me le permettre, vous choisissez la fuite qui ne va rien arranger, au contraire vous allez à la rencontre des luttes incessantes. Et…
– Parce qu’il va un jour ou l’autre… me tuer pendant une de ses crises de démence, et trop c’est trop, je ne le supporte plus! Il voit partout des hommes qui me reluquent, il me traite souvent de sale pute quand j’enfile mes minijupes au ras de la touffe selon son langage, selon ses dires mon comportement tente à provoquer de salaces envies aux hommes!
– Certainement qu’il vous aime avec une passion démesurée, et il vous considère comme sa propriété privée!
– Oui en effet, il voudrait me tenir enfermée dans son ranch, et que je devienne prisonnière de sa vie merdique dans les grands espaces, je suis comme une pauvre squaw, et que je m’occupe du matin au soir de ses veaux et de ses chevaux. Je crois que ce n’est pas une femme qu’il lui faut, il n’a besoin que de sa mère qui s’occupe de lui. Il n’a jamais coupé le cordon ombilical avec sa maman chérie, elle décide pour lui dans les étapes de sa vie d’adulte! Par contre, elle le défend corps et âme, car c’est un chaud lapin, et comme derrière mon dos il s’adonne au plaisir des liqueurs alcoolisées venues d’écosse, il termine bourré comme un trou. Il fait la connaissance intime des petites putes mexicaines, au motel de los caminos calientes!
Oh, je ne sais plus ce que je raconte…
– Il me semble qu’une bonne nuit de sommeil vous fera le plus grand bien, et demain matin après un repos bien mérité, ainsi que les idées remises en place vous partirez par le premier bus, pour avoir une sérieuse explication avec votre homme, je suis intimement convaincu que tout va s’arranger entre vous deux pour…
– Vous êtes en train de me dire que vous désirez ma mort? Voulez-vous devenir le futur jardinier attitré pour déposer quelques fleurs sur ma sépulture?
– Allons du calme, ne dramatisons pas la situation, un arrangement entre deux personnes adultes, et un câlin sous la couette comme au bon vieux temps, pour que tout reparte de plus belle!
– Oui vous avez certainement raison mon…chéri! Oh pardon mais cela vient du cœur, car je me sens en pleine sécurité avec vous. J’ai comme cette impression que l’on se connaît depuis des années, et que rien ne peut nous arriver!
Elle m’a fait stopper à une aire de repos pour vomir tripes et boyaux! Elle s’est essuyée la bouche à maintes reprises à la fontaine ainsi que le visage, cela m’a évoqué les pieuses religieuses de la communauté mexicaine de los milagros de guadalupe. Elle est remontée avec une douceur aguichante, et des yeux de merlans frits. Nous nous sommes arrêtés une cinquantaine de kilomètres plus loin pour engloutir un copieux repas, la route creuse l’appétit! La nuit est vite tombée, elle m’a prié de ne pas la laisser retourner vivre avec cet homme qui aurait tôt ou tard sa peau. (Ce sont ses termes.) Ma maudite conscience a fait son chemin mental, nous avons dormi dans un motel tenu par un couple d’une politesse et d’une gentillesse rares. Dans la nuit, elle est venue rejoindre mon lit pour m’offrir comme cadeau pour mes chaudes recommandations un amour sensuel, torride et passionné, comme la source silencieuse qui rafraîchit notre condition d’être en osmose avec la nature!
Au petit matin, tous les deux amoureux comme de jeunes adolescents qui découvrent les émotions intenses de leurs corps, nous avons poursuivi notre périple.
Voilà comment tout a commencé, mon cœur d’artichaut a fait le reste de croire une fois de plus en l’âme humaine. Pourtant tout ce qui concerne mon travail, mes supérieurs hiérarchiques sont ravis par mon sens du devoir, à vouloir toujours sauver la veuve et l’orphelin. Il faut comprendre que j’en suis à mon troisième foyer d’ouvert au Mexique. A travers la récolte de fonds des associations, des dons généreux de grands entrepreneurs du pays, des bénévoles, toutes ces personnes unies permettent d’offrir un toit à des enfants miséreux qui sont livrés à eux même dans les rues de mexico, pour pouvoir leur faire retrouver une chaleur humaine. Un début qui va leur permettre plus tard, une fois la confiance retrouvée d’être scolarisés.
Alors comme quoi la bonté a ses limites, il faut reconnaître que je me suis fait berner par la première venue! Du moins par l’association du duo de choc qui avaient si bien prémédités leur coup! Je n’ai pas remarqué la petite voiture passe partout, qui nous a suivie pendant une centaine de kilomètres à une distance respectable. A bord, son complice d’amant de merde. Pour la petite histoire, je suis le représentant légal chargé des affaires sociales pour l’état américain. Dans mon attaché case, il y avait à l’intérieur la coquette somme de 450.000 dollars, pour cette fois-ci bâtir une école à mes petits protégés enfants orphelins mexicains.
J’ai froid aux fesses en plein milieu des cactus, je me retrouve assoiffé, comme un idiot qui contemple la lune, les vautours tournoient autour, le slip baissé un bâton dans le cul, elle m’a bien eu cette jeune fille ravissante, elle m’a abandonné avec une énorme bosse au crâne, des étoiles plein la tête, mon corps frigorifié et entaillé au scalpel par ce sadique d’amant de merde! Je vis certainement mes derniers instants ici perdu au milieu de nulle part, dans ce désert à la frontière des Etats-Unis et du Mexique. Ce sale enfoiré m’a laissé en souvenir un message au bas du nombril, avec comme inscription: On t’a bien baisé sale connard!
Le soleil brûle déjà dans le désert, malgré le lever du jour. Un berger va découvrir un homme gisant, il donnera l’alerte, et cet homme sera sauvé des griffes de la mort.
Comme quoi la morale de l’histoire, peut-être que la bonté a ce côté qui peut vous surprendre à tout moment, et faire de vous un naufragé par la grâce du créateur, pour que votre existence se résume à sa plus simple expression…